Il existe plusieurs façons de situer le corps dans la vie d’une personne humaine. La façon la plus utilisée, du moins en Occident, c’est de le considérer comme le serviteur de l’âme. Un héritage venu de philosophes grecs et facilement utilisé dans la spiritualité chrétienne. Dans cette perspective, on identifie personnalité et âme. Quant au corps, on en fait un moyen de transport pour le passage de l’âme sur la terre après quoi il aurait fini son service et ne serait d’aucune utilité durant l’éternité. On croit quand même à sa résurrection, mais on ne sait pas trop la place qu’il y occupera puisque l’âme sauvée n’aurait plus besoin de ses services! En relisant les Évangiles, je n’ai pas trouvé de vocabulaire semblable à celui-là. Il m’a paru que Jésus entrait toujours en relation avec des personnalités complètes et non pas avec des âmes! Et lui-même aimait les gens avec tout son être : corps et âme. Avec Marie-Madeleine, ce n’est pas un contact d’âme à âme, mais de JE à TU, y compris les pleurs de la pécheresse sur les pieds de Jésus et l’assèchement avec les cheveux comme signe d’amour (Luc 7, 37-38). Un autre jour, à un aveugle, il offre la guérison dans un contact qui implique tout son MOI, y compris le corps, en humectant de sa salive les yeux malades (Jean 9,6) et il parle à tout le TU de l’autre, sans différencier « âme » et corps (« Crois-tu au Fils de l’homme “» (Jean 9, 35). – Il semble bien que Jésus soit venu sauver des personnes complètes et non pas seulement des âmes.Voilà pourquoi au moment d’entrer dans le jeu de la fiction présentée ici, il importera de la lire non pas comme le dialogue entre l’ÂME et le corps, mais plutôt comme une conversation entre un MOI et son corps, ce MOI comprenant les facultés spirituelles (intelligence et volonté) ainsi que le corps physique et psychologique (biologie, sensibilité, émotivité, imagination et mémoire sensibles).

Bien sûr, puisqu’il s’agit d’un dialogue de fiction, on comprendra que le corps emprunte à l’intelligence sa puissance de verbalisation pour exprimer ce qui bout au fond de lui quand on lui refuse la place à laquelle il croit avoir droit dans leur existence commune. Quand j’ai dit à un ami mon intention d’écrire un livre en parlant du corps comme d’un cadeau, il m’a répondu, « ajoute donc : un cadeau? ou un problème? ». Dans un livre précédent (La grâce de vieillir), un grand-père avait écrit le journal de ses réactions devant les manifestations de son vieillissement en espérant l’apprivoiser. Voilà pourquoi j’ai ajouté une seconde partie à ce livre en laquelle il nous partage dans un journal intime l’expérience qu’il vit quand sa chère Caroline est atteinte d’un cancer. Sa Caroline, il l’aime toujours corps et âme comme aux premiers jours, mais le corps menace de les séparer. Se pourrait-il que le cancer ait pu transformer un corps-cadeau en corps-problème?